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Robespierre – Sur la réélection des députés

Le 7 avril 1791, l’Assemblée Constituante avait décrété qu’aucun de ses membres ne pourrait devenir ministre durant les quatre années suivant la législature en cours. En mai 1791, les débats à l’Assemblée Constituante se portent sur la question de la rééligibilité des députés.

Robespierre défend la motion que les membres de l’assemblée actuelle ne soient pas élus membres de la prochaine législature. Il déclarait d’ailleurs dès 1789 : « Dans une grande monarchie, le peuple ne peut exercer sa toute-puissance que par des représentants ; il est juste qu’on les change souvent, et qu’on les change tous : rien de plus naturel que le désir d’exercer ses droits, de faire connaître ses sentiments, de recommander souvent son vœu ; ce sont là les bases de la liberté. »Toutes les citations sont tirées des Œuvres de Maximilien Robespierre, tome 1, Paris, 1840. Extraits d'un discours du 13 septembre 1789 et des séances du 16 et 18 mai 1791 à l'Assemblée Nationale Constituante. 

Une question centrale

Il s’agit d’établir les formes, de fixer les règles nécessaires pour que les élections soient utiles à la liberté. C’est pourquoi la question de la réélection est aussi centrale.

« Nous allons délibérer sur la partie de la constitution qui est la première base de la liberté et du bonheur public, l’organisation du corps législatif ; sur les règles constitutionnelles des élections, sur le renouvellement des corps électoraux. »

Robespierre a conscience des répercussions à long terme d’une loi sur la réélection : « il s’agit de porter une loi qui doit influer sur le bonheur des temps qui nous suivront ». Certes, « [...] toute entrave mise à la liberté des choix, dès qu’elle est inutile, est injuste ; à plus forte raison si elle est nuisible ou dangereuse ; mais toute règle qui tend à défendre le peuple contre la brigue, contre les malheurs des mauvais choix, contre la corruption de ses représentants, est juste et nécessaire. »

D’abord, « [...] examinons sans partialité le véritable point de la question, qui consiste à savoir si la rééligibilité est propre ou non à assurer au peuple de bons représentants : c’est d’après les vices des hommes qu’il faut en calculer les effets, car ce n’est que contre ces vices que les lois sont faites. »

« Or, l’expérience a toujours prouvé, qu’autant les peuples sont indolents et faciles à tromper, autant ceux qui les gouvernent sont habiles et actifs pour étendre leur pouvoir et opprimer la liberté publique : c’est cette double cause qui a fait que les magistratures électives sont devenues perpétuelles et ensuite héréditaires ; c’est l’histoire de tous les siècles qui a prouvé qu’une loi prohibitive de la réélection est le plus sûr moyen de conserver la liberté. »

Une caste de politiciens

C’est moins par idéalisme que par souci de réalisme que Robespierre rejette l’idée de la réélection des députés. La rééligibilité comporte, en soi, le risque d’une dérive collective. Elle permet l’apparition progressive d’une classe de citoyens à part, qui prétend parler mieux que personne au nom de tous.

Pour Robespierre, au contraire, l’intérêt personnel des députés doit rejoindre l’intérêt général de tous les citoyens, ils ne doivent pas constituer un corps à part au sein de la nation.

« Parlez-vous d’un corps de représentants destinés à faire des lois, à être les interprètes de la volonté générale ? La nature même de leurs fonctions les rappelle impérieusement dans la classe des simples citoyens. Ne faut-il pas en effet qu’ils se trouvent dans la situation qui confond le plus leur intérêt et leur vœu personnel avec celui du peuple ? Or, pour cela il faut que souvent ils redeviennent peuple eux-mêmes. (...)

Et d’ailleurs n’est-ce pas au nom du peuple que vous faites ces lois ? C’est mal raisonner que de présenter vos décrets comme des lois dictées par des souverains à des sujets ; c’est la nation qui les porte elle-même par l’organe de ses représentants. »

Ainsi, bien que les députés tracent la lettre des lois, pour Robespierre, c’est du peuple même que doit émaner l’esprit des lois : « toutes les lois importantes sont toujours devancées par l’opinion publique, provoquées par un besoin présent ou par la nécessité de réformer des abus dont on a longtemps gémi. »

Robespierre appelle les députés à faire preuve d’empathie.

« Mettez-vous à la place des simples citoyens, et dites de qui vous aimeriez mieux recevoir des lois, ou de celui qui est sûr de n’être bientôt plus qu’un citoyen, ou de celui qui tient encore à son pouvoir par l’espérance de le perpétuer ! »

Il est donc fondamental que le représentant élu redevienne simple citoyen à la fin de son mandat, ne serait-ce que « pour méditer sur les principes de la législation avec plus de profondeur qu’on ne peut le faire au milieu du tourbillon des affaires » et « pour reprendre ce goût de l’égalité qu’on perd facilement dans les grandes places ».

Pour Robespierre la politique ne doit surtout pas être un métier. C’est la préoccupation de tous et non le pré carré d’une caste d’experts en élections.

Un risque de corruption accru

« Voulez-vous me parler de ces hommes qu’une ambition vile et insensée dévore, qui n’estiment rien que la richesse et l’orgueil du pouvoir [...] ? Voulez-vous me dire qu’ils fuiront la législature si l’appât de la réélection ne les y attire ? Tant mieux ; ils ne troubleront pas le bonheur public par leurs intrigues [...]. Voulez-vous faire des fonctions du législateur un état lucratif, un vil métier ? (...) si la gloire, si le bonheur de placer leurs noms parmi ceux des bienfaiteurs de la patrie ne leur suffit pas, ils sont corrompus ; ils sont au moins dangereux ; il faut bien se garder de leur laisser les moyens d’assouvir un autre genre d’ambition. »

C’est que la professionnalisation de la politique est le signe d’un détournement de la chose publique par un petit nombre. C’est donc le signe d’un changement de régime, puisqu’on passe d’un régime démocratique fondé sur le pouvoir du peuple, c’est-à-dire de la majorité, à un régime aristocratique fondé sur le pouvoir du petit nombre, de l’élite.

Soit deux députés, dont le premier est rééligible et prétend à sa réélection.

« Suivez-les l’un et l’autre dans le cours de leur carrière : le premier séduit par l’espérance de prolonger la durée de son pouvoir, partage sa sollicitude entre ce soin et celui de la chose publique ; à mesure surtout qu’il approche de la fin de sa carrière, il s’occupe avec plus d’ardeur des moyens de la recommencer ; il songera plus à son canton qu’à sa patrie, à lui-même qu’à ses commettants ; parmi ceux-ci, il caressera, il défendra avec plus de zèle ceux qui pourront seconder avec plus de succès son projet favori ; il se gardera bien de protéger un citoyen obscur et malheureux, contre un homme puissant et accrédité dans sa contrée, surtout si cet acte de justice n’était pas de nature à produire un éclat favorable à son ambition.

Représentez-vous une Assemblée tout entière dans cette situation ; les représentants du peuple détournés du grand objet de leur mission, changés en autant de rivaux, divisés par la jalousie, par l’intrigue ; occupés presque uniquement à se supplanter, à se décrier les uns les autres dans l’opinion de leurs concitoyens ; reconnaissez-vous là des législateurs, des dépositaires du bonheur du peuple ? Quelle sera l’influence de ces brigues honteuses ? Elles dépraveront les mœurs publiques en même temps qu’elle dégraderont la majesté des lois. »

Robespierre ajoute : « Je me défierais de ceux qui, pendant quatre ans, resteraient en butte aux caresses, aux séductions royales, à la tentation de leur propre pouvoir, enfin, à toutes les tentations de l’orgueil ou de la cupidité. »

Corruption du corps législatif

« Vous dites que le corps législatif sera trop faible pour résister à la force du pouvoir exécutif, si tous ses membres sont renouvelés tous les deux ans... (...) C’est dans votre système que le corps législatif sera trop faible pour résister non pas à la force du pouvoir exécutif, mais à ses caresses et à ses séductions ; car dès le moment où il sera assis sur les bases de la constitution, ce n’est pas à le détruire que le pouvoir exécutif s’appliquera, mais à le corrompre ; et ce qui sera à craindre ce n’est pas qu’il soit trop faible contre la puissance exécutive, c’est qu’il soit trop fort contre la liberté des citoyens.

(...) n’est-il pas clair que le gouvernement aura bien moins d’intérêt à corrompre des hommes dont la retraite romprait la trame qu’il aurait ourdie de concert avec eux contre la liberté de la nation ; qu’il faudrait la renouer périodiquement avec de nouveaux obstacles et de nouveaux frais, sans être jamais sûr de recueillir dans une Assemblée nouvelle, ce qu’il aurait semé dans la précédente ? (...)

Au contraire, voyez-le aux prises pour ainsi dire avec des représentants rééligibles ; il s’attachera à ceux qui par leur éloquence et par leur adresse, exerceront plus d’influence sur l’Assemblée législative ; [...] et quand il les aura aidés de son pouvoir pour les faire réélire à la législature suivante, ils achèveront alors de lui rendre les plus signalés services. »

La force des lois

« Je n’aime point cette science nouvelle qu’on appelle la tactique des grandes assemblées ; elle ressemble trop à l’intrigue : la vérité et la raison doivent seules régner dans les assemblées législatives. (...) Je n’aime pas que des hommes habiles puissent, en dominant une assemblée par ces moyens, préparer, assurer leur domination sur une autre, et perpétuer ainsi un système de coalition qui est le fléau de la liberté : j’ai de la confiance en des représentants qui, ne pouvant étendre, au-delà de deux ans, les vues de leur ambition, seront forcés de la borner à la gloire de servir leur pays et l’humanité [...].

Quel respect le peuple aurait-il pour des législateurs qui lui donneraient l’exemple des vices mêmes qu’ils doivent réprimer ! (...) Supposez au contraire que les législateurs soient mis à l’abri de ces tentations, par la loi qui met obstacle à la rééligibilité : ils ne doivent avoir naturellement d’autre pensée que celle du bien public ; le pouvoir exécutif a moins d’intérêt de les séduire, parce qu’ils ne peuvent pas lui vendre un système de perfidies gradué et prolongé dans une autre législature [...] ; le véritable objet de leur ambition, déterminé par la durée même de leur mission, est de la mettre à profit pour leur gloire, pour mériter l’estime et la reconnaissance de la nation dans le sein de laquelle ils sont sûrs de retourner. »

En effet : « Quel est le principe, quel est le but des lois à faire sur les élections ? L’intérêt du peuple. »

Par conséquent, « Le grand principe du gouvernement représentatif, l’objet essentiel des lois doit être d’assurer la pureté des élections et l’incorruptibilité des représentants. »

Or, « Ce qui me paraît évident, c’est que s’opposer à la réélection est le véritable moyen de bien composer la législature. » Pour Robespierre, c’est la légitimité des législateurs qu’il s’agit de préserver : « il ne suffit pas même qu’ils soient exempts de toute vue personnelle et de toute ambition ; il faut encore qu’ils ne puissent pas en être soupçonnés. » Et « Quel scandale si ceux qui doivent faire des lois contre la brigue, pouvaient en être eux-mêmes accusés ! »

« Quant aux prétendus guides qu’une assemblée pourrait transmettre à celles qui la suivent, je ne crois pas du tout à leur utilité ; ce n’est point dans l’ascendant des orateurs qu’il faut placer l’espoir du bien public, mais dans les lumières et dans le civisme de la masse des assemblées représentatives [...]. »

Ce qu’il faut, c’est donc éclairer et fortifier l’esprit public : « laissez se répandre les principes du droit public et s’établir la nouvelle constitution, et vous verrez naître une foule d’hommes qui développeront un caractère et des talents ». Selon Robespierre, « nous n’avons ni le droit ni la présomption de penser qu’une nation de vingt-cinq millions d’hommes, libre et éclairée, est réduite à l’impuissance de trouver facilement sept cent vingt défenseurs qui nous vaillent ».

Le sort de la révolution n’est pas attaché à un certain nombre d’individus, et la force de l’assemblée ne tient pas à ses députés en eux-mêmes : « [...] je crois que la France peut subsister quoique quelques-uns d’entre nous ne soient ni législateurs ni ministres ; je ne crois pas que l’ordre social soit désorganisé, comme on l’a dit, précisément parce que l’incorruptibilité des représentants du peuple sera garantie par des lois sages. »

Alors comme aujourd’hui, les députés qui forment le corps législatif en place courent bien souvent le risque de se croire indispensables.

« Mais à quoi tient donc la véritable force du corps législatif ? Est-ce à la puissance, au crédit, à l’importance de tels ou tels individus ? Non : c’est à la constitution sur laquelle il est fondé ; c’est à la puissance, à la volonté de la nation qu’il représente et qui le regarde lui-même comme le boulevard nécessaire de la liberté publique. »


  1. Toutes les citations sont tirées des Œuvres de Maximilien Robespierre, tome 1, Paris, 1840. Extraits d'un discours du 13 septembre 1789 et des séances du 16 et 18 mai 1791 à l'Assemblée Nationale Constituante. 

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