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Robespierre – La liberté de la presse

Aujourd’hui, nous retrouvons le député Maximilien Robespierre, avec un discours sur la liberté de la presse destiné à être lu à l’Assemblée nationale. Dans ce discours de 1791, Robespierre souligne combien la liberté de la presse est vitale à la démocratie.

Selon lui, la faculté de communiquer est le signe que l’humanité est vouée à l’état social, c’est-à-dire à la vie en communauté. Mais surtout, cette faculté de communiquer est l’instrument qui permet à la société de se perfectionner, et à l’homme d’atteindre « le degré de puissance, de lumière et de bonheur dont il est susceptible ». Robespierre va jusqu’à affirmer que les lois sur la liberté de la presse représentent « peut-être la partie la plus importante de notre code constitutionnel ». Son discours se conclue par un projet de décret où il propose à l’Assemblée nationale de déclarer : « Que tout homme a le droit de publier ses pensées, par quelques moyens que ce soit ; et que la liberté de la presse ne peut être gênée ni limitée en aucune manière. »Discours prononcé à la Société des Amis de la Constitution en 1791 et destiné à être lu à l’Assemblée nationale, accompagné d’un projet de décret. Extraits tirés des Oeuvres de Maximilien Robespierre,Tome I, (notes et commentaires par Laponneraye), Paris, 1840, pages 200-224. 

Robespierre est très clair : « la liberté d’écrire sur les choses doit être illimitée ». Qu’un homme communique ses pensées par la parole ou par l’écriture, le droit qu’il exerce est toujours le même : « la liberté de la presse ne peut être distinguée de la liberté de la parole ; l’une et l’autre est sacrée comme la nature ; elle est nécessaire comme la société même ». Il n’y a donc aucune distinction à établir entre la liberté d’expression et la liberté de la presse, puisque c’est toujours le même droit à la parole qui s’exerce.

Il s’agit là pour Robespierre d’un droit naturel, et par conséquent imprescriptible.

« C’est par la libre et mutuelle communication de ses pensées que l’homme perfectionne ses facultés, s’éclaire sur ses droits, et s’élève au degré de vertu, de grandeur, de félicité, auquel la nature lui permet d’atteindre. »

Ce droit à la parole suppose et engendre une pluralité d’opinions qui est saine et positive.

« […] c’est la nature même qui veut que les pensées de chaque homme soient le résultat de son caractère et de son esprit, et c’est elle qui a créé cette prodigieuse diversité des esprits et des caractères. La liberté de publier son opinion ne peut donc être autre chose que la liberté de publier toutes les opinions contraires. »

C’est précisément « du combat de toutes les idées vraies ou fausses, absurdes ou raisonnables » que naît la liberté d’opinion et que se forge la pensée de chacun.

« C’est dans ce mélange que la raison commune, la faculté donnée à l’homme de discerner le bien et le mal, s’exerce à choisir les unes, à rejeter les autres. Voulez-vous ôter à vos semblables l’usage de cette faculté, pour y substituer votre autorité particulière ? Mais quelle main tracera la ligne de démarcation qui sépare l’erreur de la vérité ? »

C’est que toute censure pose la question de la légitimité de l’autorité dont elle émane.

« Si ceux qui font les lois ou ceux qui les appliquent étaient des êtres d’une intelligence supérieure à l’intelligence humaine, ils pourraient exercer cet empire sur les pensées : mais s’ils ne sont que des hommes […], toute loi pénale contre la manifestation des opinions est une absurdité. »

Robespierre évoque l’exil de Descartes et la persécution de Galilée. Certes, la censure peut gêner le libre développement de l’esprit humain, mais elle se discrédite d’elle-même avec le temps. Loin de susciter le respect, les censeurs font étalage de leur impuissance intellectuelle, quand bien même ils parviendraient temporairement à effacer les traces de telle ou telle opinion. La censure va de pair avec l’obscurantisme et la tyrannie ; elle trahit l’autoritarisme d’un pouvoir qui a déjà perdu le débat rationnel et se trouve ainsi acculé à la violence intellectuelle comme seule réponse à toute remise en cause de ses doctrines ou de ses agissements.

D’ailleurs, à y bien réfléchir, punir une idée est inutile, puisque les actes répréhensibles tombent déjà sous le coup de la loi.

« Observez surtout que, dans aucun cas, l’ordre social ne peut être compromis par l’impunité d’un écrit qui aurait conseillé un délit. Pour que cet écrit fasse quelque mal, il faut qu’il se trouve un homme qui commette le délit. Or, les peines que la loi prononce contre ce délit sont un frein pour quiconque serait tenté de s’en rendre coupable […]. »

Pour Robespierre, il n’y a pas de demi-mesure possible en matière de liberté de la presse et de liberté d’expression.

« En deux mots, il faut ou renoncer à la liberté, ou consentir à la liberté indéfinie de la presse. »

Parce qu’en vérité, il est impossible de légiférer sur les opinions sans tomber dans la subjectivité.

« En effet, c’est un principe incontestable que la loi ne peut infliger aucune peine là où il ne peut y avoir un délit susceptible d’être caractérisé avec précision, et reconnu avec certitude ; sinon la destinée des citoyens est soumise aux jugements arbitraires, et la liberté n’est plus. Les lois peuvent atteindre les actions criminelles, parce qu’elles consistent en faits sensibles, qui peuvent être clairement définis et constatés suivant des règles sûres et constantes […]. Me dénonce-t-on un vol, un meurtre, j’ai l’idée d’un acte dont la définition est simple et fixée, j’interroge des témoins. Mais on me parle d’un écrit incendiaire, dangereux, séditieux ; qu’est-ce qu’un écrit incendiaire, dangereux, séditieux ? (…) Je vois naître ici une foule de questions qui seront abandonnées à toute l’incertitude des opinions ; je ne trouve plus ni fait, ni témoins, ni loi, ni juge ; je n’aperçois qu’une dénonciation vague, des arguments, des décisions arbitraires. L’un trouvera le crime dans la chose, l’autre dans l’intention, un troisième dans le style. »

Toute loi qui porte atteinte à la liberté d’expression des citoyens nuit par conséquent à la démocratie. Elle paraîtra toujours arbitraire, car les opinions sont toujours relatives.

« Le même écrivain trouvera, suivant la différence des temps et des lieux, des éloges ou des persécutions, des statues ou un échafaud. Les hommes illustres, dont le génie a préparé cette glorieuse révolution, sont enfin placés, par nous, au rang des bienfaiteurs de l’humanité : qu’étaient-ils durant leur vie aux yeux des gouvernements ? Des novateurs dangereux, j’ai presque dit des rebelles. Est-il bien loin de nous le temps où les principes mêmes que nous avons consacrés auraient été condamnés comme des maximes criminelles par ces mêmes tribunaux que nous avons détruits ? […] et dans ces lieux mêmes, au moment où je parle, l’opinion que je propose ne paraît-elle pas aux uns un paradoxe, aux autres une vérité ? »

C’est donc la libre discussion des lois qu’il faut privilégier pour avancer en démocratie.

« Obéir aux lois est le devoir de tout citoyen, publier librement ses pensées sur les vices ou sur la bonté des lois est le droit de tout homme et l’intérêt de la société entière ; c’est le plus digne et le plus salutaire usage que l’homme puisse faire de sa raison […]. »

Robespierre reconnaît qu’« avant la révolution même, nous jouissions, jusqu’à un certain point, de la liberté de disserter et d’écrire sur les lois ».

C’est cette liberté de débattre des lois qui permet d’améliorer l’association civile et de la faire évoluer. Car, « Les lois, que sont-elles ? L’expression libre de la volonté générale […]. Chaque citoyen a sa part et son intérêt dans cette volonté générale ; il peut donc, il doit même déployer tout ce qu’il a de lumières et d’énergie pour l’éclairer, pour la réformer, pour la perfectionner. »

Robespierre adopte ici le modèle rousseauiste du contrat social.

« Comme dans une société particulière chaque associé a le droit d’engager ses co-associés à changer les conventions qu’ils ont faites, et les spéculations qu’ils ont adoptées pour la prospérité de leurs entreprises ; ainsi, dans la grande société politique, chaque membre peut faire tout ce qui est en lui pour déterminer les autres membres de la cité à adopter les dispositions qui lui paraissent les plus conformes à l’avantage commun. »

Robespierre s’appuie également sur l’exemple des États-Unis, dont il approuve la législation en matière de liberté d’expression.

« Le droit de communiquer ses pensées, par la parole, par l’écriture ou par l’impression, ne peut être gêné ni limité en aucune manière ; voilà les termes de la loi que les États-Unis d’Amérique ont faite sur la liberté de la presse, et j’avoue que je suis bien aise de pouvoir présenter mon opinion, sous de pareils auspices, à ceux qui auraient été tentés de la trouver extraordinaire ou exagérée. »

D’après Robespierre, l’ingérence du pouvoir politique dans l’accès à l’information est contraire à l’intérêt général. L’intérêt de la liberté de la presse, c’est précisément d’éclairer les citoyens sur les abus du pouvoir.

« Quel est le principal avantage, quel est le but essentiel de la liberté de la presse ? C’est de contenir l’ambition et le despotisme de ceux à qui le peuple a commis son autorité, en éveillant sans cesse son attention sur les atteintes qu’ils peuvent porter à ses droits. »

Mais si « la liberté de la presse est le plus redoutable fléau du despotisme », la presse asservie, elle, est une machine à abêtir, un outil au service d’intérêts contraires à l’intérêt général.

« Comment expliquer, en effet, le prodige de plusieurs millions d’hommes opprimés par un seul, si ce n’est par la profonde ignorance et par la stupide léthargie où ils sont plongés ? »

Entre les mains des hommes au pouvoir, les lois contre la presse deviennent « une arme terrible contre la liberté » : « C’est ainsi que toute entrave mise à la liberté de la presse est entre leurs mains un moyen de diriger l’opinion publique au gré de leur intérêt personnel, et de fonder leur empire sur l’ignorance et sur la dépravation générale. »

Toute loi portant atteinte à la liberté d’expression devient alors une arme contre l’intérêt général et représente un danger pour les citoyens.

« Considérez combien il serait facile de rapporter une émeute, un délit quelconque, à un écrit qui n’en serait cependant point la véritable cause ; combien il est difficile de distinguer si les évènements qui arrivent dans un temps postérieur à la date d’un écrit en sont véritablement l’effet ; comment, sous ce prétexte, il serait facile aux hommes en autorité de poursuivre tous ceux qui auraient exercé avec énergie le droit de publier leur opinion sur la chose publique, ou sur les hommes qui gouvernent. »

Robespierre est donc catégorique : « La liberté de la presse doit être entière et indéfinie, ou elle n’existe pas. » C’est pourquoi, au lieu de chercher à limiter la liberté de la presse pour se prémunir d’abus éventuels, il faut au contraire lui garantir une entière liberté.

« La presse libre est la gardienne de la liberté ; la presse gênée en est le fléau. Ce sont les précautions mêmes que vous prenez contre ses abus qui les produisent presque tous […]. »


  1. Discours prononcé à la Société des Amis de la Constitution en 1791 et destiné à être lu à l’Assemblée nationale, accompagné d’un projet de décret. Extraits tirés des Oeuvres de Maximilien Robespierre,Tome I, (notes et commentaires par Laponneraye), Paris, 1840, pages 200-224. 

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