Dixitologie

synthèses à lire, écouter, voir

Robespierre – La Garde Nationale

En 1790, la France est encore une monarchie mais les députés de l’Assemblée Constituante se sont donnés pour mission de rédiger une Constitution, qu’il remettront au roi l’année suivante. Cette année 1790, les élections municipales de janvier-février sont tenues au suffrage censitaire : seuls les “citoyens actifs”, ceux qui paient un impôt direct, ont le droit de voter. Les autres, les “citoyens passifs”, ne peuvent pas participer aux élections.

Les propos de Robespierre portent sur l’organisation de la police, ou plus précisément, sur l’organisation de la Garde Nationale. En effet, la Police Nationale à proprement parler naît en août 1941, sous le régime de Vichy. Un décret signé par Pétain place alors les polices municipales sous l'autorité de fonctionnaires non élus et aux ordres de l’exécutif – les préfets – au lieu des maires.

Qu’est-ce que la Garde Nationale ?

L'article 12 de la déclaration des droits de l'homme stipule que « La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l'avantage de tous et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée. »

Néanmoins cette déclaration ne prévoyait aucune organisation de la force publique. Lors des premier troubles révolutionnaires, le régiment des Gardes françaises, régiment d’infanterie censé assurer la garde du roi, est débordé. La première Garde Nationale est formée le 14 juillet 1789 à Paris.

C’est d’abord une milice citoyenne composée de volontaires. Elle est créée pour maintenir l’ordre dans la ville au nom du Tiers État, et certains de ses membres vont participer à la prise de la Bastille. Le régiment des Gardes françaises est d’ailleurs licencié par le roi après avoir pris fait et cause pour la révolution et notamment pour sa participation à la prise de la Bastille ; ses soldats et officiers s'engagent alors dans la Garde Nationale.

Des Gardes nationales sont bientôt fondées dans toutes les communes du pays et placées sous la tutelle des municipalités par l’Assemblée constituante. Cette décentralisation administrative est entérinée par la loi du 14 décembre 1789, qui prévoit que les maires ont la responsabilité des pouvoirs de police et doivent exercer cette mission à l’aide de la garde nationale, composée de citoyens.

La loi précise à l’article 50 : « Les fonctions propres au pouvoir municipal, sous la surveillance et l’inspection des assemblées administratives sont : [...] de faire jouir les habitants des avantages d’une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics. »

La Garde Nationale sera plus tard réorganisée à maintes reprises, notamment par Napoléon, qui crée les préfectures de police. Bonaparte rattache ainsi au pouvoir central les attributions de police générale qui dépendaient des communes. Dans Le Mémorial de Sainte-Hélène, il qualifie même les préfets “d’empereurs au petit pied”, soulignant l’étendue de leurs pouvoirs.

Sa participation à la Commune de Paris signe l’arrêt de mort de La Garde Nationale née sous la Révolution française. La dissolution des gardes nationales dans toutes les communes de France est votée en 1871 par le gouvernement d’Adolphe Thiers, et l'armée devient en 1872 “la Grande Muette” avec une loi qui refuse aux militaires le droit de vote, loi qui ne sera abolie qu’en août 1945.

La mission de la police

Dans un discours de décembre 1790, Robespierre revient d’abord sur la mission de la police.

« Le juge absout ou condamne ; le magistrat de police décide si un citoyen est assez suspect pour perdre provisoirement sa liberté et pour être remis sous la main de la justice : l’une et l’autre ont un objet commun, la sûreté publique ; leurs moyens diffèrent en ce que la marche de la police est soumise à des formes moins scrupuleuses, en ce que ses décisions ont quelque chose de plus expéditif et de plus arbitraire. »Toutes les citations sont tirées des Œuvres de Maximilien Robespierre, tome 1, Paris, 1840. 

Cependant, « l’une et l’autre doivent concilier, autant qu’il est possible, la nécessité de réprimer le crime avec les droits de l’innocence et de la liberté civile » et « la police même ne peut, sans crime, outrepasser le degré de rigueur ou de précipitation qui peut être absolument indispensable pour remplir son objet ».

D’après Robespierre, la loi est en quelque sorte forcée de laisser une plus grande latitude à la volonté et à la conscience de ceux qu’elle charge de veiller au maintien de l’ordre, et c’est pourquoi elle doit être particulièrement vigilante quant à leur probité.

« “Ce danger, ce malheur de perdre la liberté avant d’être convaincu, et quoique l’on soit innocent, dit le rapporteur des deux comités, est un droit que tout citoyen a remis à la société ; c’est un sacrifice qu’il lui doit.” Mais c’est précisément par cette raison qu’il faut prendre toutes les précautions possibles pour s’assurer que ce sera l’intérêt général, que ce sera le vœu et le besoin public, et non les passions particulières qui commanderont ces sacrifices et qui réclameront ce droit ; c’est-à-dire, pour ne pas faire d’une institution faite pour maintenir la sûreté des citoyens le plus terrible fléau qui puisse la menacer. »

Selon Robespierre, il est particulièrement vital de « soustraire la garde nationale à l’influence du pouvoir exécutif, puisqu’elle doit servir au besoin pour nous défendre contre la force militaire dont ce pouvoir exécutif est armé ». Si la police et l’armée dépendaient toutes deux du pouvoir exécutif, le peuple n’aurait aucun recours contre le despotisme du gouvernement, si le gouvernement décidait de trahir sa mission et d’usurper la souveraineté populaire qu’il est censé représenter.

Risque d'instrumentalisation

Dès lors, comment éviter le risque d’une police au service d’un despotisme gouvernemental ?

Dans un discours prononcé à l’Assemblée Constituante en avril 1791, Robespierre estime qu’il faut d’une part s’assurer d’organiser la police « de sorte qu’aucune de ses parties ne puisse dépendre du pouvoir exécutif ». En d’autres termes, « il faut organiser la garde nationale de manière que le pouvoir exécutif ne puisse abuser de la force immense qui lui est confiée, ni la garde nationale opprimer la liberté publique et le pouvoir exécutif. »

C’est pourquoi, « Le prince et ses agents ne doivent donc pas nommer les chefs. » ; et « le roi ne doit donc ni récompenser ni punir les gardes nationales ».

D’autre part, il convient de « diminuer autant qu’il sera possible le nombre des officiers, ne les nommer que pour un temps très limité ».

Cette démocratisation est primordiale pour que la police reste issue du peuple et à son service, plutôt qu’au service des puissants.

« [...] l’intérêt, le vœu du peuple est celui de la nature, de l’humanité ; c’est l’intérêt général ; l’intérêt, le vœu des riches et des hommes puissants, est celui de l’ambition, de l’orgueil, de la cupidité, des fantaisies les plus extravagantes, des passions les plus funestes au bonheur de la société ; les abus qui l’ont désolée furent toujours leur ouvrage ; ils furent toujours les fléaux du peuple. »

C’est précisément une police au service des puissants que craint Robespierre avec le projet de loi présenté par le rapporteur Rabaut-Saint-Etienne en avril 1791.

Ce projet de loi n’admet dans les gardes nationales que les citoyens actifs. Autrement dit, il faut payer la même quantité d’impositions pour jouir du droit de défendre la patrie que pour jouir du droit de vote. Il faut donc avoir de l’argent pour être citoyen à part entière.

Robespierre critique âprement ce projet.

« On veut diviser la nation en deux classes, dont l’une ne semblerait armée que pour contenir l’autre, comme un ramas d’esclaves prêts à se mutiner ! (...) Vous direz après cela que le peuple est dangereux à la liberté ! »

Mais « N’est-ce pas là créer un vaste corps armé pour asservir le reste de la nation ? N’est-ce pas remettre le pouvoir politique et la force armée dans les mains d’une seule classe, et cette force armée à la disposition du pouvoir exécutif par des voies indirectes ? Tous les citoyens ne sont-ils pas également enfants de la patrie ? »

Plus généralement, pour éviter le risque de créer un corps répressif au service du gouvernement, il convient selon lui d’« empêcher que les gardes nationales ne forment un corps, et n’adoptent un esprit particulier qui serait un esprit de corps, et qui menacerait bientôt, soit la liberté publique, soit les autorités constitutionnelles. »

Car pour Robespierre, « [...] dans tout état où une partie de la nation est armée et l’autre ne l’est pas, la première est maîtresse des destinées de la seconde ; tout pouvoir s’anéantit devant le sien ; d’autant plus redoutable qu’elle sera plus nombreuse, cette portion privilégiée sera seule libre et souveraine ; le reste sera esclave. »

En conséquence, si l’on ne veut pas diviser la nation en deux classes dont l’une serait à la discrétion de l’autre : « Tous les citoyens doivent être admis à remplir les fonctions de garde nationale. »

La garde nationale doit donc être une police citoyenne.

Une police citoyenne

Pour Robespierre, il faut ainsi tendre à « confondre la fonction de soldat avec celle de citoyen », car « Les gardes nationales ne seront jamais ce qu’elles doivent être si elles sont une classe de citoyens, une portion quelconque de la nation, quelque considérable que vous la supposiez. »

« Les gardes nationales ne peuvent être que la nation entière armée pour défendre au besoin ses droits ; il faut que tous les citoyens en âge de porter les armes y soient admis sans aucune distinction : sans cela, loin d’être les appuis de la liberté, elles en seront les fléaux nécessaires [...]. »

Pour rester au service de la liberté et des citoyens, il faut donc une police sous le contrôle non pas du gouvernement mais des citoyens, afin qu’elle défende les droits de tous et non la volonté du pouvoir en place.

C’est dans cette perspective que la Garde Nationale avait été placée sous l’autorité des municipalités dès 1789. Robespierre déclare aux députés en décembre 1790 : « Il est surtout une garantie qu’il n’est pas permis de négliger ; c’est celle que vous avez vous-mêmes cherchée en décrétant que les fonctionnaires publics qui doivent décider des intérêts des citoyens soient nommés par le peuple. Quand les citoyens soumettent leur liberté aux soupçons, à la volonté d’un homme, la moindre condition qu’ils puissent mettre à ce sacrifice, c’est sans doute qu’ils choisiront eux-mêmes cet homme-là ; [...] vous avez vous-mêmes consacré le principe que j’invoque, dans la matière même dont je parle, en confiant l’autorité de la police à des juges de paix nommés par le peuple » En effet, l’Assemblée Constituante avait aboli la vénalité des offices judiciaires en août 1790, et institué notamment les juges de paix, alors élus par les citoyens actifs.

En définitive, selon Robespierre, c’est pour défendre les droits de l’homme que la police existe et non pour y porter atteinte.

« [...] l’ordre social ne peut être fondé sur la violation des droits imprescriptibles de l’homme, qui en sont les bases essentielles : [...] nous n’affecterons pas sans cesse d’en détourner nos regards sous de nouveaux prétextes, lorsqu’il s’agit de les appliquer aux droits de nos commettants et au bonheur de notre patrie. »

Cette opinion s’inscrit dans la continuité de son intervention contre le projet d’une nouvelle loi martiale, présenté par le garde des sceaux en février 1790.

En effet, Le 21 octobre 1789, l’Assemblée nationale constituante avait institué la loi martiale pour réprimer les émeutes parisiennes. En février 1790, cette nouvelle proposition de loi martiale, approuvée par Lafayette, Mirabeau, et bien d’autres députés fait suite aux soulèvements paysans de janvier 1790, qui éclatent d’abord dans le Périgord, le Quercy, et le Limousin.

Le 22 février 1790, Robespierre s’adresse en ces termes à l’Assemblée : « [...] ne proclamons pas une nouvelle loi martiale contre un peuple qui défend ses droits, qui recouvre sa liberté. »

Il oppose la véritable liberté à la docilité servile que cherchent à imposer les défenseurs de la loi martiale.

« Ne voyez-vous pas qu’on cherche à énerverIci, “énerver” a le sens d’ôter le nerf, l’énergie, c’est-à-dire d’affaiblir.  les sentiments généreux du peuple, pour le porter à préférer un paisible esclavage à une liberté achetée au prix de quelques agitations et de quelques sacrifices ? »

« Devons-nous déshonorer le patriotisme en l’appelant esprit de sédition, et honorer l’esclavage par le nom d’amour de l’ordre et de la paix ? Non ; il faut prévenir les troubles par des moyens plus analogues à la liberté. Si l’on aime véritablement la paix, ce ne sont pas des lois martiales qu’il faut présenter au peuple [...]. »

Robespierre met en doute l’efficacité de la répression et la possibilité de défendre la liberté par des moyens autoritaires.

« Qu’on me pardonne de n’avoir pu concevoir comment les moyens du despotisme pouvaient assurer la liberté ; qu’on me pardonne de demander comment une révolution faite par le peuple peut être protégée par le déploiement ministériel de la force des armes. »

C’est à l’intelligence du peuple plutôt qu’à la coercition qu’il faut s’en remettre.

Robespierre conclut son discours contre la loi martiale par ces mots : « Rendons au peuple ses véritables droits ; protégeons, je le répète, protégeons les principes patriotiques, attaqués dans tant d’endroits divers ; ne souffrons pas que des soldats armés aillent opprimer les bons citoyens, sous le prétexte de les défendre ; ne remettons pas le sort de la révolution dans les mains de chefs militaires ; faisons sortir des villes ces soldats armés qui effraient le patriotisme pour détruire la liberté. »


  1. Toutes les citations sont tirées des Œuvres de Maximilien Robespierre, tome 1, Paris, 1840. 

  2. Ici, “énerver” a le sens d’ôter le nerf, l’énergie, c’est-à-dire d’affaiblir. 

«
«

»