Petite histoire de l’école en France
En préambule d’une série d’épisodes consacrés à Une société sans école, d’Ivan Illich, je vous propose un petit retour sur l’histoire et les enjeux de l’éducation en France. En effet, pour aborder la question de l’institution scolaire, il paraît important de comprendre d’où vient l’école telle que nous la connaissons.
L'école de l'Ancien Régime (789-1789)
L’institution scolaire telle que nous la connaissons aujourd’hui est un phénomène relativement récent. En effet, avant le XIXème siècle, l’instruction reste la marque d’un certain privilège. Les enfants aisés sont formés à la maison, grâce à des précepteurs, ou confiés à des écoles privées, souvent religieuses. Néanmoins les écoles, elles, existent depuis longtemps.
À ses débuts, la scolarisation va de pair avec la religion. Charlemagne n’a jamais su écrire, mais il a appris à lire sur le tard. Il n’a pas vraiment inventé l’école, mais, en 789, il charge les moines de donner une instruction religieuse aux enfants. Dans un capitulaire de 82 articles, Charlemagne adresse à tous ses sujets une “exhortation générale”, dans laquelle il ordonne notamment la destruction des arbres, pierres et fontaines qui font l'objet de cultes païens. Il ordonne d’autre part aux évêques d'organiser dans les églises cathédrales et dans les monastères des écoles pour enseigner aux enfants à lire, à compter, et à chanter. L’alphabétisation va de pair avec une entreprise de christianisation forcée de la population. L’école est un instrument politique et idéologique au service de l’État et de la religion catholique.
C’est encore le cas à la fin du XVIIème siècle, pendant les guerres de religion, quand Louis XIV, après avoir révoqué l’édit de Nantes, fait obligation aux écoles paroissiales de scolariser tous les jeunes garçons jusqu’à l’âge de 14 ans, et plus particulièrement les enfants des protestants. Les protestants réagissent en créant dans les Cévennes “les écoles du désert”, au fond des bois. D’où l’expression “faire l’école buissonnière” qui désigne à l’origine une école clandestine.
Les projets éducatifs de 1789
L'éducation est un enjeu important pour la Révolution française. En 1791, dans son Rapport sur l’instruction publiqueRapport sur l’instruction publique fait au nom du Comité de Constitution, à l’Assemblée nationale par Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (séances des 10, 11 et 19 septembre 1791). Talleyrand écrit que l’instruction a pour but de perfectionner l’homme dans tous les âges, et de mettre à portée de chacun et au profit de tous l’expérience et les erreurs des générations précédentes. Il définit l’instruction comme « un bien commun, universel, pour tous quelque soit le sexe et l’âge » [...] « nul ne peut donc en être légitimement exclu ; et celui-là, qui a le moins de propriétés privées, semble même avoir un droit de plus pour participer à cette propriété commune. »
En résumé, « dans une société bien organisée, quoique personne ne puisse parvenir à tout savoir, il faut néanmoins qu’il soit possible de tout apprendre. »
D’après Condorcet, l’instruction des citoyens est pour la puissance publique un devoir de justice. Le but premier de l’instruction nationale est d’établir entre les citoyens une égalité de fait, et de rendre réelle l’égalité politique reconnue par la loi. C’est une entreprise d’émancipation du genre humain : « Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, […] le genre humain restera partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves. »
Rapport de Condorcet sur l’organisation générale de l’instruction publique fait au nom du Comité d’instruction publique, à l’Assemblée nationale (séances des 20 et 21 avril 1792).
Condorcet développe l’idée d’une instruction permanente. Par exemple : « Chaque dimanche, l’instituteur ouvrira une conférence publique, à laquelle assisteront les citoyens de tous les âges. »
L’instruction conçue par Condorcet est donc une entreprise d’émancipation permanente.
« En continuant ainsi l’instruction pendant toute la durée de la vie, on empêchera les connaissances acquises dans les écoles de s’effacer trop promptement de la mémoire ; on entretiendra dans les esprits une activité utile ; on instruira le peuple des lois nouvelles, des observations d’agriculture, des méthodes économiques qu’il lui importe de ne pas ignorer. (...) On pourra lui montrer enfin l’art de s’instruire par soi-même, comme à chercher des mots dans un dictionnaire, à se servir de la table d’un livre, à suivre sur une carte, sur un plan, sur un dessin, des narrations ou des descriptions, des notes ou des extraits. »
Condorcet est conscient de l’instrumentalisation politique qui peut être faite de l’instruction nationale : « La première condition de toute instruction étant de n’enseigner que des vérités, les établissements que la puissance publique y consacre doivent être aussi indépendants qu’il est possible de toute autorité politique. »
Les révolutionnaires distinguent d’ailleurs l’éducation de l’instruction : « Former des hommes, propager les connaissances humaines ; telles sont les deux parties du problème que nous avons à résoudre. La première constitue l’éducation ; la seconde, l’instruction. »
Plan d’éducation nationale rédigé par Michel Lepeletier de Saint Fargeau, arrangé et défendu par Robespierre à la Convention le 29 juillet 1793.
Cependant la Révolution française n’a pas les moyens de ses ambitions. Le 5 nivôse An II (c’est-à-dire le 25 décembre 1793), la Convention vote un texte fondateur, qui rend l'enseignement primaire laïque, gratuit et obligatoire, mais la réaction thermidorienne supprime bientôt l'obligation puis la gratuité. L’épuisement des caisses de l’État, le manque de salles de classe et leur insalubrité, la réticence de certaines familles sont autant d’obstacles à la réalisation des projets éducatifs révolutionnaires. Les instituteurs vivent dans la misère et sont souvent obligés de pratiquer un autre métier en parallèle.
Vers une scolarisation effective au XIXème siècle
Ier Empire et Restauration
À son arrivée au pouvoir, Napoléon Bonaparte constate la désorganisation de l'enseignement primaire et rétablit les écoles religieuses. Il s'intéresse surtout à l'enseignement secondaire et à l'enseignement supérieur. En mars 1808, la France est divisée en 29 académies, le primaire reste aux mains de l’église, le secondaire et le supérieur passent sous le contrôle de l’État et le baccalauréat fait son apparition.
En France, l’école publique se développe d’abord sous la monarchie de Juillet, avec la loi Guizot de 1833, qui ré-introduit l’école primaire. Cette loi est la mise en œuvre de l’article 69 de la Charte de 1830, qui prévoyait une loi portant sur “l'instruction publique et la liberté de l'enseignement”. Guizot nationalise en quelque sorte les écoles primaires et les confie aux communes plutôt qu’aux paroisses. L'instruction est réservée aux garçons, elle n'est ni obligatoire ni gratuite, mais le comité communal a la responsabilité de pourvoir à l’enseignement gratuit des enfants pauvres, soit environ un garçon sur trois. Tout individu âgé de dix-huit ans peut exercer librement la profession d'instituteur primaire, à condition d'obtenir un brevet de capacité, délivré à l'issue d'un examen, et de présenter un certificat de moralité délivré par le maire de la commune sur l’attestation de trois conseillers municipaux.
Second Empire
Les efforts de scolarisation se poursuivent sous Napoléon III. Ainsi, les salles d'asile se développent grâce à l'action de Marie Pape-Carpantier, et deviennent en 1848 des écoles maternelles. Cette scolarisation s’étend peu à peu aux filles, bien que leur accès au secondaire soit limité. Les cours dispensés aux filles sont différents de ceux des garçons et ne préparent pas au baccalauréat : une leçon de morale remplace la philosophie, les sciences sont à peine survolées et la littérature est expurgée. Une place importante est laissée en revanche aux cours d'économie domestique et de couture. C’est en excluant des lycées publics de jeunes filles l'enseignement des langues anciennes (grec et latin) qu’on les empêche d’accéder aux humanités classiques et donc au baccalauréat, où une bonne connaissance du latin est indispensable.
IIIème République
Mais c’est sous la IIIème République qu’apparaît réellement en France l’école publique, laïque, gratuite et obligatoire, avec les lois Ferry de 1881 et 1882, qui achèveront l’alphabétisation du pays entamée sous Charlemagne. Elles interviennent dans la foulée de lois emblématiques : la liberté de la presse en 1881, l’autorisation des syndicats en 1884, et bientôt l’autorisation des associations en 1901, et la séparation de l’Église et de l’État en 1905.
Ces lois républicaines ont un double objectif idéologique : d’une part lutter contre l’influence de l’Église catholique (c’est d’ailleurs en 1889 que les instituteurs deviennent fonctionnaires d’État) ; d’autre part, préparer les futurs citoyens, désormais tous électeurs. Ces futurs électeurs seront aussi les futurs soldats, ce qui a son importance. À l’époque, la perte de l’Alsace et la Lorraine attise les rancoeurs envers l’Allemagne et encourage une atmosphère revancharde. L’école républicaine reste un instrument politique au service de l’État mais n’est plus au service de la religion catholique.
Ainsi, l’école républicaine qui nous paraît si familière et si naturelle aujourd’hui est le fruit d’un long processus de transformations sociales et de combats idéologiques.
-
Rapport sur l’instruction publique fait au nom du Comité de Constitution, à l’Assemblée nationale par Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (séances des 10, 11 et 19 septembre 1791).
-
Rapport de Condorcet sur l’organisation générale de l’instruction publique fait au nom du Comité d’instruction publique, à l’Assemblée nationale (séances des 20 et 21 avril 1792).